« Il y a 6 ans, j’ai été hospitalisée pendant plusieurs mois en pédopsychiatrie en raison de mon anorexie mentale restrictive.
Je ne peux pas dire quand a débuté la maladie précisément et je pense qu’elle s’installe dans la tête bien avant les conséquences physiques. Mais mon année de seconde a été l’année ou la restriction à vraiment débuté. Ma restriction alimentaire a commencé de manière « anodine », avec une simple envie de manger plus sainement, de faire un peu plus de sport, finalement m’entretenir après un été gourmand et 2 petits kilos que je jugeais en trop. Rien d’excessif à première vue, mes parents ne s’en sont donc pas soucié. Cependant, au fur et à mesure des mois, je devenais de plus en plus obsédée par cet objectif, par mon alimentation et ma dépense énergétique. Certains comportements envahissants sont donc apparus sans que je n’aie conscience de leur impact. Je commençais à lire les étiquettes des produits afin de connaitre les compositions, à calculer mes calories, à me renseigner sur la nutrition, cependant rien n’était sain puisque motivé par la maladie. Même au repas de Noël cette année-là, j’ai fait attention et je ne me suis autorisé aucun excès. Tout devait être équilibré et mesuré. Si excès il y avait, la culpabilité suivait de près, et me rappelait de ne plus le refaire. Les rendez-vous avec ma balance étaient de plus en plus nombreux dans mes journées, et les chiffres affichés de plus en plus angoissants. Encore une fois aux yeux de mon entourage, je ne faisais que prendre soin de moi.
En parallèle j’étais devenu intransigeante sur certaines choses autour des repas comme les changements d’horaire ou changements de menu. J’avais d’ailleurs besoin de connaitre à l’avance ce dernier afin d’équilibrer les calories et de préparer ma prochaine séance de sport. Les petits moments agréables comme les apéros étaient devenus un supplice pour moi. J’arrivais à trouver des occupations et des excuses assez facilement pour les éviter. Je pense avec du recul que même si nous n’en avons pas conscience, la maladie est assez maligne et nous motive à la tromperie et au mensonge. On devient maitre dans cet art, et la possibilité pour notre entourage de repérer le problème en est d’autant plus compliquée.
Plus l’année avançait et plus je triais mes aliments. Par la suite j’ai commencé à trier en fonction de leur catégorie. Le sucre transformé, la viande rouge, les féculents, pour au final ne garder que certains aliments peu caloriques et en petite quantité. En même temps mes deux séances d’une heure de sport dans la semaine s’étaient transformées en une séance de 2h tous les jours, jusqu’à épuisement, vertige, douleur. Evidemment tout se faisait dans le dos de mes parents. J’étais finalement partie à la recherche de la perfection. La perfection physique par mon apparence, principalement influencée par ce que je pouvais voir sur les réseaux ; la perfection de mon mode de vie que je voulais le plus sain possible ; la perfection de mes compétences scolaires, j’étais extrêmement exigeante dans mon travail et mes résultats étaient exemplaires. Je voulais être parfaite et plaire à tous sans exception. Les motivations ne me semblaient pourtant pas si mal, mais mes pensées étaient incontrôlables, je ne vivais que pour ça. Enfin vivre est un bien grand mot. Plus je répondais à mes pensées devenues intrusives et obsessionnelles de recherche de perfection et plus je me sentais puissante, forte. En réalité, j’étais de plus en plus vide et légère. J’ai commencé à avoir des remarques positives en février/ mars notamment par mes ami.e.s. C’était « t’as des abdos incroyables » ou « comment tu fais pour être aussi forte en cours », des remarques innocentes à leurs yeux, qui me valorisaient ou plutôt valorisaient la maladie et l’ont en réalité alimentée. (Sans mauvais jeu de mots).
J’avais la fausse impression à cette période de me contrôler et de contrôler tout ce qui m’entourait (un contrôle qui dans l’alimentation était direct : je ne mange pas, je perds du poids rapidement) un sentiment satisfaisant qui en réalité cachait le contrôle d’une maladie sur moi.
Je me souviens encore écrire dans l’onglet recherche de mon ordinateur « anorexie » sans penser que cela puisse vraiment me concerner. Pourtant, je n’ai pas hésité à écrire autre chose. Je le savais finalement, mais je refusais de le voir. En d’autres termes j’étais dans le déni. Et ce déni, je pense qu’il n’est pas valable que pour moi. Depuis tout ce temps, mes parents avec qui je vivais quotidiennement ne s’étaient rendu compte de rien. Pourtant malgré mes ruses, mon hyperactivité et ma restriction affolante étaient bien visible. Je pense que dans ce genre de situation il est aussi compliqué pour des parents d’accepter que son enfant souffre, accepter de regarder la chose en face.
La révélation de cette maladie s’est faite un jour d’anniversaire. Un repas de trop, et cette fois, plus qu’une impossibilité de manger, une impossibilité de camoufler ma souffrance et de me forcer davantage. Je n’y arrivais plus. Alors nous avons rapidement vu le médecin puis le psychiatre et le diagnostic est tombé. S’en est suivi beaucoup de questionnement sur cette maladie et sur la souffrance psychique en générale car inconnue de ma famille et moi jusqu’à présent. Nous avons été aidés par une amie de ma mère que mes parents ont rapidement appelée, et qui avait elle aussi souffert plus jeune d’anorexie. Elle a su répondre à certaines de nos interrogations et a été comme un repaire pour nous. Repaires et apports d’informations difficiles à trouver en général dans ce domaine.
Après le diagnostic les choses n’ont pas été aussi simple que prévue. Tout le monde était au courant, je n’avais plus besoin de me cacher, j’étais malade et on le savait mais j’étais aussi désespérée devant une situation qui me semblait sans issue. Alors j’ai tout simplement baissé les bras et je me suis laissée couler. J’ai fini par ne plus bouger de chez moi, mais ne plus manger. J’étais tellement vide que le simple fait de lever mon bras me faisait perdre mon équilibre. A chaque fois j’arrivais physiquement à me retenir pour ne pas tomber, mais il n’y avait pas de rambarde d’escalier pour m’accrocher mentalement. J’avais pu trouver des témoignages sur internet dans lesquels je m’étais identifiée. Il était rassurant de voir que d’autres vivaient ou avaient vécu la même chose que moi, et pouvaient me comprendre. C’était le premier rondin de bois sur lequel m’accrocher dans cette noyade.
J’ai donc fini aux urgences un après-midi, puis hospitalisée pendant 2 mois l’été de ma seconde avec un objectif de poids et un suivi psychologique faible car long à mettre en place. Cependant, une fois sortie de l’hôpital, j’ai rapidement « rechuté ». Une nouvelle hospitalisation puis un transfert en pédopsychiatrie. Une place que j’ai eu la chance d’obtenir malgré un manque de lits criant de ces services, et une demande qui ne cesse de croitre. J’y suis restée de longs mois afin de débuter un travail psychique de fond. Cette hospitalisation était vitale pour me sortir de l’anorexie, mais aussi des pensées suicidaires qui étaient venues s’installer depuis un moment en raison d’un mal être que je pensais insurmontable.
Nous avons été pendant un temps 8 enfants sur 11 lits dans le service, à souffrir de la même maladie. Je ne détaillerais pas cette longue hospitalisation. L’isolement, la surveillance quotidienne, les rendez vous très fréquent avec divers professionnels de la santé (Diet, psychomot, psychologue, psychiatre) et le récit des autres enfants malades ont été bénéfiques pour moi. Mais parfois il était difficile de rester loin de son entourage, de se sentir surveillé constamment, compliqué de devoir affronter ses problèmes et de ne plus pouvoir fuir, de voir des personnes souffrir de la même maladie, de se comparer, de ne pas comprendre pourquoi un tel avance plus vite dans ses soins que soi. En sortant de là-bas, je pensais ne plus avoir à faire à la maladie, mais j’ai vite compris que l’on m’avait donné les outils pour être indépendante face aux difficultés de cette dernière, pour apprendre à vivre avec quotidiennement. Après un déménagement afin de faire peau neuve avec ma famille, j’avançais avec un suivi en hôpital de jour.
J’ai connu des hauts et des bas, mais je me souviens que chaque mois je me sentais mieux que le mois précédent. J’ai passé mon bac, j’ai retrouvé mes règles (signe important d’un retour à la normal pour le fonctionnement du corps). Pour mon pédiatre, physiquement j’étais soignée. Pour mon psychiatre, mentalement j’étais apte à continuer sans suivi. Pour ma famille, l’histoire était close et nous n’avions plus à parler de quoi que ce soit.
En étude supérieur cependant, j’ai encore connu des moments compliqués puisque des crises d’hyperphagie ont débuté. Rapidement j’ai pris 10 kg en 1 an et un nouveau cercle vicieux s’était installé, j’avais besoin de remplir un vide en moi. Evidemment, les kilos se sont vus. Mais ravies de voir que j’avais arrêté de perdre du poids, j’étais pour mes parents en meilleure santé ainsi. De plus, des crises d’angoisses sont apparues. Le déclencheur était souvent ma peur de rechuter à nouveau, sans m’en apercevoir à temps. Les choses se sont réellement calmées après le confinement. Je suis partie loin de chez mes parents, dans une nouvelle ville et une nouvelle poursuite d’étude. J’ai retrouvé un certain équilibre, un poids stable, et une relation beaucoup plus saine entre la nourriture et moi, même si parfois encore compliquée. J’ai notamment remarqué que mon mode de fonctionnement adopté avec cette maladie à tendance à revenir lors de période de stress, d’anxiété difficile à gérer. Cependant aujourd’hui, grâce à tout mon travail réalisé au cours de ces années de calvaire, je reconnais facilement les mécanismes et je sais y faire face seule. J’ai de plus des ami.e.s au courant de mon histoire qui savent apporter un regard externe lorsque mes comportements autour de la nourriture semblent anormaux. Un regard extérieur qui d’après mon vécu est essentiel à avoir. De plus il m’est arrivé de retourner voir un psychologue grâce au système des 8 séances remboursées pour les étudiants.
Mon histoire m’est propre, et chaque récit et parcours de personne souffrant de cette maladie est unique. Mais si ce témoignage venait à être parlant pour quelqu’un, j’espère qu’il le sera de manière bénéfique. Une aide pour la personne souffrante ou son entourage, mais aussi pour toutes les personnes souhaitant simplement se renseigner sur ces troubles/maladies psychiques afin de ne pas être aussi démuni que ma famille et moi devant une épreuve comme celle-ci. Et peut-être finalement, pouvoir y trouver un rondin de bois. »
Témoignage anonyme.